Votre client a-t-il le choix ?

En pleine écriture de mon 4ème livre, je vous dévoile un thème qui y sera abordé. Je présente déjà cela depuis un moment le stage Hypnose et leviers de changement. Le choix du client. Je vais vous parler ici d’une erreur que j’ai fréquemment commise dans les débuts de ma pratique. J’entends souvent des praticiens dire que le client doit être acteur de sa thérapie, qu’il a les clés. C’est joli, mais dans les faits, laisse-t-on réellement le choix à nos clients d’être au centre de leur changement. La question mérite d’être posée et nous verrons qu’elle n’est pas si simple que cela. Parfois le praticien peut être extrêmement intrusif sans même s’en rendre compte au point de parfois faire des choix d’objectifs à la place de son client. 

PLANTONS LE DECOR

Un client vient vous voir, car il a du mal à s’exprimer lors des réunions à son travail. En investiguant rapidement, il vous décrit que lorsqu’il doit prendre la parole devant ses patrons, il se sent comme une petite souris et a juste envie de fuir. Dans ces contextes, une boule dans la gorge s’installe, il se met à suer et il se dit qu’il est nul et qu’il a l’impression que tous les regards vont se braquer sur lui. 

Vous faites un petit test régressif en lui demandant de se répéter « je suis nul et tous les regards vont se braquer sur moi » et en sentant la boule dans le ventre puis de laisser venir ce que ça lui rappelle. Le client se retrouve alors en train de jouer à un jeu de société en équipe avec son père qui lui hurle « tu es nul, ce n’est pas possible de faire de telles erreurs ! ». Vous décidez alors de lui faire prendre du recul en utilisant une dissociation et commencez à travailler sur cet événement. 

À la séance suivante, le client revient et vous dit de manière attristée « Alors ça va un peu mieux, mais j’ai toujours peur, par contre j’ai eu du mal à dormir, et ce weekend, j’étais chez mes parents avec ma famille, mon père a fait une remarque et je me suis énervé. Cela ne m’arrive jamais. Cela m’a rendu triste pendant 2 jours, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. »

Hum, que s’est-il passé ? 

LES PROBLEMES

Plusieurs problèmes :

  • Le choix de la méthode : le praticien a choisi de faire régresser son client à une « source ». Mais, le client n’a jamais stipulé vouloir comprendre la genèse de son problème. Le choix même de la méthode présuppose qu’il faut trouver une source pour cette évolution. Ce n’est pas encore une erreur, car cela peut encore simplement être une exploration et une proposition de travail. Néanmoins, il aurait pu proposer le choix à son client en disant par exemple « Vous savez parfois cela peut venir d’émotions passées liées à des événements anciens qui peuvent encore avoir un impact au présent, ça vous parle ou non ? » et voir comment son client réagit.
  • Le praticien ne vérifie pas ce que le client pense de cette association d’idées. La trouve-t-il pertinente ? Est-ce que cela fait sens pour lui ? Fait-il un lien ?
  • Le praticien choisit de lui-même de travailler sur cet événement, plutôt que de travailler sur la situation initiale de la réunion en public. Il valide ainsi la croyance qu’il faut travailler sur le passé pour influencer le présent. Le client n’a pas eu son mot à dire.

Le fait est que quoiqu’il arrive la personne ne s’est jamais engagée en toute conscience et en toute lucidité à changer son objectif. Et elle n’a pas validé la pertinence du nouvel événement rencontré. 

Je résume : le praticien a présupposé la nécessité d’aller chercher une « cause » ou une « source » au problème. Il a ensuite choisi de travailler sur un souvenir engageant les relations père – fils alors que le client est venu travailler sur une difficulté à s’exprimer lors de réunion de travail. Il n’a pas vérifié ce que la personne pense de ce lien. Le praticien a donc choisi ce qui est pertinent ou non de travailler sans consulter son client et celui-ci se retrouve alors dans des émotions qu’il ne comprend pas et qui provoquent un désarroi chez lui. 

QUESTIONNEMENT

Dans un article ou livre sur Erickson, je me souviens d’un moment ou Ernest ROSSI interroge Milton ERICKSON (je n’ai pas encore retrouvé la source, mais ce passage m’avait bien fait cogiter. Dès que je le retrouve, je le renseignerai ici) sur une séance filmée et lui demande pourquoi il a sorti la cliente de l’état hypnotique. Et M.H. Erickson lui répond alors qu’il veut son autorisation consciente pour travailler sur ce qu’ils viennent de découvrir ensemble. J’avais trouvé cela un peu exagéré à l’époque, mais je me rends compte maintenant à quel point c’était respectueux de la personne hypnotisée. 

Donc, comment faire ? Je vais présenter les deux façons que j’utilise.  La première est le questionnement avec essentiellement 3 questions. Je vais les présenter avec l’exemple cité et je les généraliserai ensuite. Voici les 4 questions. Si la personne est en état hypnotique. Je l’aide dans un premier temps à ressortir de l’état hypnotique. Et je lui pose ces questions. 

  • Quels liens faites-vous entre votre difficulté à vous exprimer en réunion au travail et la scène avec votre père où vous faites équipe avec lui et il vous dit «  »tu es nul, ce n’est pas possible de faire de telles erreurs ! »
  • Pensez-vous que le problème en réunion peut évoluer sans travailler sur ce moment avec votre père ? 
  • Du coup, vous êtes venu avec l’idée de pouvoir parler plus librement en réunion de travail. Sur quel moment vous semble-t-il le plus pertinent de travailler maintenant ? La réunion, le moment avec votre père ou les deux ? 
  • Est-ce donc ce que vous voulez faire ? (la question est légèrement différente de la précédente. On n’a pas forcément envie pour autant de faire le plus pertinent tout de suite)

Si je rends ces questions plus génériques. Je vais parler de moment T1 (le premier contexte en lien avec la demande) et de moment T2 (un autre moment apparaissant ensuite)

  • Quels liens faites-vous entre T1 et T2
  • Pensez-vous que T1 peut évoluer sans travailler sur T2 ? 
  • Vous êtes venu avec l’idée de faire évoluer T1. Sur quel moment vous semble-t-il le plus pertinent de travailler maintenant ? T1, T2 ou les deux ? 
  • Est-ce donc ce que vous voulez faire ? 
De la même façon, c’est ce qui me permet de trier les informations lors de l’entretien TRAJETS (voir le livre « Hypnose et leviers de changement » ou le stage correspondant). Reprenons l’entretien. 
  • Client : J’ai du mal à parler lors des réunions de travail
  • Praticien : Parce que si vous parlez lors de ces réunions, vous craignez qu’il se passe quoi ?
  • Client : Rien, je sais que je ne crains rien. 
  • Praticien : Alors qu’est-ce qui vous empêche de parler en public ? 
  • Client : J’ai peur que tous les regards se braquent sur moi … je me trouve nul
  • Praticien : Et que ressentez-vous alors ? 
  • Client : Je sue, j’ai une boule dans la gorge et je me sens comme une petite souris et j’ai juste envie de fuir  
Si on s’arrête là, on a un contexte au présent nommé T1 : parler lors des réunions de travail. Une émotion la peur et des sensations : la boule dans la gorge, la sueur, et le fait de se sentir comme une petite souris. Des pensées ou jugements « les regards vont se braquer sur moi » et « je suis nul ». De plus, cela présuppose qu’il a déjà vécu cela. Je n’ai pas peur d’un carvinum si je n’ai jamais vu de carvinum (ne cherchez pas, carvinum n’existe pas). Vous faites alors le test régressif.
  • Praticien : Tenez prenez une bonne inspiration, laissez le corps souffler et fermer les yeux, répétez-vous « les regards vont se braquer sur moi et je suis nul » et sentez ce qui se passe dans votre gorge alors. Quand vous sentez cela, dites-moi ? 
  • Client : Oui je le sens
  • Praticien : En vous disant « les regards vont se braquer sur moi et je suis nul » et en sentant ce qui se passe dans votre gorge, laissez venir ce que cela vous rappelle. 
  • Client : Je repense à un moment où je joue en équipe avec mon père et j’ai fait une bêtise et il me hurle dessus « tu es nul, ce n’est pas possible de faire de telles erreurs ! »
  • Praticien : Très bien, ouvrez les yeux. Quels liens faites-vous entre votre difficulté à vous exprimer en réunion au travail et la scène avec votre père où vous faites équipe avec lui et il vous dit «  »tu es nul, ce n’est pas possible de faire de telles erreurs ! »
  • Client : Pas grand-chose à part le « nul », mais ce n’est pas la même chose, car je n’ai pas peur là. Je suis triste. (le client rejette le lien)
  • Praticien : OK, refaites le test. Prenez une bonne inspiration et fermez les yeux en laissant votre corps souffler et repensez maintenant à cette phrase « les regards vont se braquer sur moi et je suis nul » en sentant la boule dans la gorge et quand vous sentez ça, dites-le-moi. 
  • Client : Oui, je le sens.
  • Praticien : Et laissez venir ce que cela vous rappelle. 
  • Client : Je vais réciter ma poésie au tableau
  • Praticien : Très bien, ouvrez les yeux. Quels liens faites-vous entre votre difficulté à vous exprimer en réunion au travail et ce moment où vous allez réciter votre poésie au tableau. 
  • Client : Là c’est la même peur ! Je retrouve la sensation d’être une petite souris.
  • Praticien : Pensez-vous que vos réactions lors de vos réunions de travail peuvent évoluer sans travailler sur ce moment où vous allez réciter votre poésie au tableau ? 
  • Client : Peut-être, mais je ne suis pas sûr. 
  • Praticien : Du coup, vous êtes venu avec l’idée de pouvoir parler plus librement en réunion de travail. Sur quel moment vous semble-t-il le plus pertinent de travailler maintenant ? La réunion, le moment de la poésie au tableau ou les deux ? 
  • Client : Euh, je ne suis pas sûr
  • Praticien : Moi, je ne sais pas du tout. Instinctivement, vous en pensez quoi ?
  • Client : Je pense qu’il faut commencer par ce moment horrible à l’école, car ils se sont vraiment moqués de moi et je me suis senti bien seul dans la cour
  • Praticien : est-ce donc ce que vous voulez faire, travailler sur le moment de la poésie en premier  ? 
  • Client : oui 
  • Praticien : OK. 
En l’aidant à faire les liens, à juger de la pertinence ou non d’un lien, à faire des choix, le client s’engage et il est responsable de ses choix. À travers le questionnement, il sait que c’est lui le décideur et que ses choix ont des impacts. Parfois, la personne ne sait pas et je la laisse réfléchir un moment sans chercher à l’influencer. Bien sûr, il peut se tromper, mais moi encore plus. Comme nous travaillons sur son changement, il est logique que ce soit lui qui choisisse. Il arrive que le client dise « à vous de me dire ? » auquel cas, je lui réponds « on peut obtenir des résultats avec les 3 possibilités suivant comment la personne envisage son évolution et c’est pour cela que c’est votre manière de pensée qui m’intéresse, pas la mienne. Alors ? » 

Quelles que soient les conséquences du travail sur le souvenir, je sais et il sait qu’il a choisi de travailler sur ce souvenir. Alors que dans le premier cas où je choisis pour lui de travailler sur le moment avec son père, je deviens responsable des conséquences que cela a sur sa vie, car il n’en a pas validé la pertinence et il n’a pas donné l’autorisation d’intervenir sur cela. C’est donc une erreur majeure. 

Et le client peut décider qu’il veut travailler sur la réunion de travail, rejetant ainsi ma proposition de la régression et la croyance liée. Ce qui est une bonne chose. En effet, la cause n’est pas forcément nécessaire. Cela dépend vraiment de la manière de penser d’un client. Après cela peut aussi lui permettre de fuir un travail important. Et alors ? Cela ne bougera pas et je lui rappellerai, de manière neutre, les trois questions, en lui disant vous vous rappelez, la dernière fois je vous ai demandé… et vous avez fait ce choix. Qu’en pensez-vous à la lumière des évolutions ? 

Il pourra alors avoir la fierté de corriger lui-même une erreur. Il sera en responsabilité totale de son changement et pourra en être fier. Cela évite que le client vous dise « Oh la la ! vous avez eu une sacrée intuition hein. Merci. Je n’aurais pas réussi sans vous » que vous allez tenter de recadrer avec un « Vous rendez-vous compte de tout le travail que vous avez effectué pour en arriver là ? ». 

L’expérience est plus intéressante que le cognitif. Se sentir acteur est plus intéressant que se l’entendre dire. 

CADRE

Mon autre façon de faire est de poser le cadre. J’utilise cette façon de faire quand je travaille en EFT-H qui est une technique de libération émotionnelle combinant les outils du Faster EFT et de l’hypnose. En effet, poser les 4 questions vues plus haut à chaque fois, rendrait l’accompagnement vraiment lourd dans cette méthode. Donc je cadre et demande si le client est d’accord.  Ainsi, je vais expliquer au client. 

« Vous savez, il arrive que l’on réagisse au présent d’une manière qui nous semble insensée ou tout du moins exagérée parce qu’en réalité, des éléments du moment présent nous rappelle des situations passées et les souvenirs du passé enterrés dans le grenier de l’esprit en explose la porte et rejaillissent émotionnellement. Ainsi, on réagit à la fois au présent et au contexte passé que cela nous rappelle. Cela vous parle ? 

Ainsi, lorsqu’on va travailler ensemble aujourd’hui, des associations d’idées automatiques vont très probablement se faire avec le passé, car un souvenir enterré vivant ne meurt jamais, êtes-vous prêt à explorer cette façon de voir les choses et à travailler sur les charges émotionnelles du passé pour réduire celles du présent ? » 

Ainsi, le client s’engage à une méthode de travail. Je modère en lui disant « Si à un moment, vous faites une association d’idées dont vous ne souhaitez pas révéler le contenu, c’est OK bien sûr. Simplement, ne me le cachez pas. Dites-moi juste, il y a autre chose, mais je ne veux pas en parler ou je ne suis pas prêt à l’explorer maintenant, OK ? » 

Pour les praticiens qui savent qu’ils vont toujours rechercher la cause du schmilblick, cela peut-être une solution de facilité. 

CONCLUSION

Ce que je vous ai présenté ici est ma façon de voir l’accompagnement. J’estime que le client doit pouvoir avoir le choix. Très souvent, lorsque j’ai l’impression qu’il y a un événement sous-jacent, je vais proposer, lors de l’entretien préalable, un petit test régressif de 2 ou 3 minutes (pour plus de détails sur l’entretien préalable, voir le livre « hypnose et leviers de changement« ) permettant à la personne de sentir que son corps la guide par association d’idées vers un autre événement, car pour proposer un choix, il est important d’en avoir. Cela peut faire gagner un temps fou. À ce moment-là, la personne prend conscience d’un ancien enjeu, mais elle reste maître du jeu, car je me rappelle qu’elle est venue avec une demande précise et que c’est à elle et à elle seule d’évaluer la pertinence ou non d’agir avec la nouvelle donnée.

Ainsi, le client s’engage et se sent responsable. Il sait qu’il fait des choix pour évoluer vers sa demande et ses choix ne sont pas simples, car parfois il se trouve devant un choix du type « dents en mousse » ou « jambes en bois ». Et ce choix pourrait me semblait simple parfois, mais je sais que ce n’est pas à moi de le faire. Je n’ai pas une pratique purement régressive ou symptomatique. Je peux travailler en surface ou en profondeur. Je sais que certains refusent de travailler sur le symptôme arguant que cela provoque forcément des déplacements de symptômes. Ce sont de vieilles rengaines sans fondement. Elles s’avèreront réelles pour un client voyant les choses ainsi et fondamentalement fausses pour les autres. 

Et contrairement à ce qu’on entend parfois, ce n’est pas forcément le travail en profondeur le plus efficace. Au contraire, il peut parfois être générateur de problèmes, comme on l’a vu. Et j’ai vu pas mal de gens empêtrés dans un passé compliqué, persuadés par des praticiens que tout se règle dans le passé ou dans les profondeurs de la psyché alors que ce peut être une terrible impasse aussi. Le passé est révolu, la révolution se fera toujours au présent et parfois seulement avec un changement de point de vue sur le passé. 

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