Peut-on contrôler autrui en hypnose ?

Contrôler autrui par l'hypnose

Une question revient souvent lorsque l’on parle d’hypnose. Peut-on faire faire n’importe quoi à n’importe qui en utilisant l’hypnose. Beaucoup d’hypnothérapeutes se veulent rassurant en disant à leurs clients que leur inconscient les protège et qu’on le ne peut les influencer s’ils ne le souhaitent pas. Dans les films à l’inverse, tout est possible : faire d’une personne son esclave, l’enfermer dans son esprit, etc. Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce bien réel ? 

D'ABORD, SANS HYPNOSE

En fait, l’hypnose a toujours été un peu sulfureuse et beaucoup d’images de l’hypnose montrent un hypnotiseur qui prend le contrôle sur l’autre. Mais en fait, l’hypnose n’est même pas réellement nécessaire pour cela. Les pervers narcissiques n’utilisent pas d’hypnose du tout et pourtant aucune personne ne voudrait de son plein gré laisser quelqu’un détruire son estime. En utilisant des méthodes comme le push pull, l’engagement, la dette, et bien d’autres, les manipulateurs peuvent pourtant y parvenir sans trop d’effort. De la même façon, CIALDINI a déjà démontré avec les méthodes que l’on trouve dans « Influence et manipulation » que l’hypnose n’est pas nécessaire pour parvenir à influencer fortement des individus.  Nous avons tous des biais cognitifs et sommes tous soumis à l’influence de l’engagement qui est très puissant. Mais que peut apporter l’hypnose concernant l’influence ? Peut-on s’en servir pour faire commettre des actes malveillants ? Nous allons voir deux points de vue assez différents, mais en réalité complémentaires. Celui de Milton Hyland ERICKSON et celui de John Goodrich WATKINS. Ils existent évidemment d’autres études intéressantes, mais je trouve que celles-ci résument assez bien ce que l’hypnose peut permettre ou non dans ce domaine. 

M.H. ERICKSON : NON!

Il est souvent argué par les hypnothérapeutes qu’il existe en nous comme un personnage secondaire appelé l’inconscient qui veille sur nous et empêche toute influence négative. Nous avons effectivement des processus inconscients nous protégeant. Si une explosion survient proche de vous, vous allez effectivement sursauter, votre coeur va s’accélérer pour préparer la fuite et beaucoup d’autres réactions destinées à votre survie auront lieu automatiquement. De là à personnifier un inconscient qui serait capable de nous protéger de toutes influences néfastes, il y a tout de même un pas important et bien moins sûr

Il est vrai que le célèbre psychiatre et hypnotiseur Milton HYLAND ERICKSON a réalisé des expériences l’amenant à la conclusion qu’il n’était pas possible d’amener une personne à commettre des délits contre sa volonté. On les trouve dans son article « An Experimental Investigation of the Possible Antisocial Use of Hypnosis » publié dans Psychiatry en août 1939. Je ne vais pas ici décrire l’ensemble de ses nombreuses expériences. Je laisserai les curieux les lire dans le tome 1 de l’intégrale des articles de Milton ERICKSON. En voici toutefois quatre exemples de diverses natures. 

  • Après avoir montré la décharge électrique violente qu’il advient lorsqu’on touche une poignée, on met un sujet en hypnose et on lui demande de toucher la poignée lui-même. Il refuse catégoriquement aussi bien en hypnose qu’en dehors. 
  • On suggère lors de plusieurs séances et de manière répétée à un très bon sujet hypnotique de lire les lettres intimes que son camarade de chambre garde dans un coffret. Avec une insistance extrêmement forte et après de nombreux refus, la personne prend finalement une des lettres, mais se rend compte qu’elle n’a pas ses lunettes. Ensuite, elle trouve de nombreuses façons de ne pas pouvoir la lire pour finalement aboutir à une cécité hypnotique lorsque toutes les conditions sont finalement réunies pour pouvoir la lire.
  • À court de cigarettes, un sujet est mis en transe et on lui demande d’aller voler des cigarettes dans un paquet d’un collègue dans un autre bureau. Le sujet accepte à condition qu’on avoue cela au propriétaire ensuite. On lui refuse cette condition et le sujet refuse d’aller voler les cigarettes dans le paquet. Il accepte pourtant en dehors de l’état d’hypnose bien qu’on finisse par apprendre qu’il en a parlé au propriétaire. 
  • On montre à un sujet une boite avec des poignées métalliques alimentées en courant. L’expérimentateur montre en essayant de lever la boite qu’il prend une forte décharge électrique. On dit au sujet qu’une personne non prévenue va venir lever cette boite. Une fois en hypnose, on demande au sujet de mettre l’interrupteur sur marche avant que la personne lève la boite. Le sujet refuse à chaque fois. Il accepte en revanche si c’est l’expérimentateur qui lève la boite ce qui, de son point de vue, n’est pas gênant vu que celui-ci est au courant de ce qui va se passer. 
L’ensemble de ces expériences semblent montrer qu’il n’est pas possible d’induire un comportement antisocial ou nocif pour la personne. G. H. ESTABROOK, psychologue et hypnotiseur reconnu durant la Seconde Guerre mondiale argue que le rapport et l’intention sont importants lorsque l’on tente d’induire ce genre d’attitude et que Milton ERICKSON ne souhaite par réellement que les personnes commettent ces actes. Mais pour moi, il y a autre chose de très important. Dans les expériences du Dr ERICKSON, on pourrait presque dire que ce qui est testé est en réalité la suggestibilité et non pas la possibilité d’amener quelqu’un à commettre un délit. En effet, on demande à la personne de commettre un délit ou un acte douloureux, mais la personne sait ce qu’il va se passer et ce qu’elle va faire. Cela ne répond pas à la question « peut-on contrôler une personne en hypnose au point de lui faire réaliser un délit ? ». En effet, qu’en est-il si l’on utilise les phénomènes hypnotiques puissants que propose l’hypnose et non pas seulement la suggestion ? Que se passe-t-il si l’on trompe la personne avec des hallucinations par exemple ? C’est là qu’interviennent les expériences de John WATKINS

John WATKINS : OUI!

John Goodrich WATKINS est un psychologue américain à qui l’on doit notamment (avec sa femme Helen WATKINS) la thérapie des états du moi. On lui doit également de nombreux travaux dans le domaine de l’hypnose concernant la dissociation et les personnalités multiples. Dans son article intitulé « Antisocial compulsions induced under hypnotic trance » datant de 1947, il présente une série d’expériences allant à l’encontre des conclusions d’ERICKSON sur le sujet. Néanmoins, à la différence des expériences d’ERICKSON, John WATKINS va utiliser une autre force de l’hypnose : Le phénomène hypnotique et pour atteindre son but, il va modifier fortement la perception de la réalité de la personne hypnotisée. Voici certaines de ses expériences. 

  • Un caporal de l’armée est hypnotisé et une suggestion post-hypnotique est installée lui disant de retourner en état hypnotique profond à chaque fois qu’il voit un stylo jaune. Son capitaine S lui révèle une information importante en lui imposant l’ordre de ne jamais la divulguer sous aucun prétexte. On lui demande s’il peut maintenir cette promesse. Le caporal est ferme et sûr. L’hypnotiseur montre le stylo jaune et le caporal retourne en transe. L’hypnotiseur lui dit alors « Je suis le capitaine S et je vous ai donné des informations confidentielles, je veux vérifier que vous vous en souvenez, donc répétez-les-moi ». Le caporal lui donne alors les informations secrètes. Une fois réveillé, on lui demande s’il a fourni les informations. Le caporal répond « non et personne ne pourra me les soutirer ! ». L’hypnotiseur répète les informations et le caporal surpris regarde alors son capitaine ne comprenant pas pourquoi il les a révélées (il ne peut en être autrement) ! Cette expérience a été testée sur sept militaires différents choisis comme étant de bons sujets hypnotiques. 
  • Un militaire au dossier exemplaire, respecté par ses pairs, est hypnotisé en présence de plusieurs membres de la division neuropsychiatrique de l’hôpital militaire. L’hypnotiseur lui dit alors « Dans une minute, vous allez ouvrir vos yeux et vous allez voir un soldat japonais. Il a une arme et va vous tuer sauf si vous le tuez d’abord. Vous allez devoir l’étrangler à mains nues » (devant lui se trouve le psychiatre en chef, le directeur de la division et son lieutenant). Au bout d’une minute, le soldat ouvre les yeux, se jette sur son lieutenant, le plaque au mur en criant et l’étrangle violemment (attaquer un officier supérieur est pourtant un délit majeur). Trois personnes se mobilisent pour desserrer l’étreinte avant qu’il soit remis en hypnose. Le lieutenant affirme alors que l’étreinte était très dangereuse et qu’il serait mort sans l’intervention des 3 personnes. L’expérience a été renouvelée avec un autre soldat connu pour être assez calme. Celui-ci a sorti un couteau caché dont personne n’était au courant et a été fort heureusement intercepté juste avant de blesser gravement le lieutenant. 
John Goodrich WATKINS décrit 4 autres expériences de ce style. Ici, réside cependant une différence majeure. On ne demande pas aux personnes d’agir contre leur volonté. On les place dans un contexte hypnotique trompeur en utilisant des phénomènes hypnotiques puissants afin que l’acte que l’on souhaite faire commettre soit parfaitement justifiable. 

CONCLUSION

Je vous ai présenté ici deux études. Évidemment, il y en a eu d’autres. Néanmoins, les expériences de J.G. WATKINS montrent qu’en installant un contexte hypnotique propice, et sous certaines conditions (sujets hautement hypnotisables, contexte motivant l’acte), il est parfaitement possible d’amener une personne à commettre un acte dans la réalité déformée qu’elle vit à ce moment-là. Évidemment, les militaires cités plus haut n’auraient jamais fait cela dans le contexte expérimental d’ERICKSON, car on leur aurait alors demandé d’agir contre leur volonté en attaquant leur supérieur ou en divulguant des informations secrètes. Mais, en utilisant le phénomène hypnotique d’hallucination, la réalité subjective change et même si l’on pouvait évidemment se douter de la conclusion, les expériences de WATKINS laissent tout de même peu de doutes sur les possibilités offertes par l’hypnose.

L’hypnose n’est pas l’élément dangereux et quand un client nous demande « pouvez-vous me faire faire quelque chose que je ne veux pas ? », ce n’est pas de l’hypnose dont elle a peur, mais de celui qui l’utilise. Je n’ai pas peur d’un couteau tenu par ma femme, mais beaucoup plus d’un couteau tenu par un homme cagoulé. Le couteau n’est pas le problème. Le problème est l’utilisateur. Alors, doit-on restreindre l’utilisation de l’hypnose ? Certains militent en ce sens en voulant la réserver à une profession. Mais aucune profession ne garantit une bonne éthique de tous ses membres ni aucun niveau d’étude, etc. Alors ne serait-ce pas comme restreindre l’utilisation d’un couteau ? Ne doit-on pas le faire avec la communication aussi alors ? Fausse solution ! 

Inutile aussi de mentir au client en minimisant l’hypnose, car vous abimeriez alors l’outil de travail. C’est à chaque personne de répondre émotionnellement à une demande qui est, en fait, émotionnelle. Personnellement, quand on me demande « pouvez-vous me faire faire n’importe quoi », je leur réponds souvent « Cela dépend, avez-vous un gros compte en banque ? » en faisant un clin d’oeil, et souvent on rit ensemble. 

Note : En lisant l’article de John G. WATKINS, je me suis rendu compte qu’il avait influencé certains hypnotiseurs de spectacle. En effet, une des expériences montre que John G. WATKINS (ou un de ses expérimentateurs) challenge un militaire. Le deal est qu’il gagne une certaine somme s’il ne rentre pas en transe. Mais WATKINS montre alors qu’il peut forcer la personne à replonger en transe hypnotique. Ce que l’on peut également retrouver ici https://www.youtube.com/watch?v=3UsPOlJO_7A réalisé par Anthony GALIE qui est un hypnotiseur que je trouve vraiment talentueux dans son domaine tout en étant respectueux (ce qui est rare).

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