Causalité

Il m’est arrivé plusieurs fois d’avoir des clients voulant connaître la cause de leur problème. Je ne sais pas si cela est dû à l’essor considérable qu’a eu la psychanalyse au 21ème siècle en France ou si la source en est les principes de causalité et de temporalité qui nous sont suggérés en permanence dans notre éducation (en physique classique, ou en histoire avec les frises temporelles).

En tout cas, je ne rentrerai pas ici dans les principes physiques et philosophiques des notions de temps et de causalité. Afin de parler de cela, et ne pas rentrer dans de la théorie, je vais juste prendre un des exemples que je donne parfois en formation. Celui d’une jeune femme vue à Lyon en 2012 sur 6 séances. Afin que ce soit plus simple à lire je vais émailler le texte de dialogue. Ce ne sont pas les vrais dialogues car je ne les ai plus mais c’est comme cela que je m’en souviens. Le contenu ne doit pas en être très loin.

LA TETE SOUS L'EAU

  • Jordan: Et qu’est ce qui vous amène ?
  • Cliente: Cela fait plus de 40 ans que je ne peux pas mettre la tête sous l’eau et je veux comprendre.
  • J: Comment vous lavez-vous les cheveux et la tête?
  • C: Je ne peux pas utiliser le pommeau de douche car ça me panique. J’ai l’impression d’étouffer. Alors j’utilise un gant de toilette et je rince avec un verre d’eau en inclinant la tête de côté.
  • J: L’impression d’étouffer, d’accord qu’attendez-vous de nos séances ?
  • C: Comprendre !
  • J: Comprendre ? Imaginons que vous changiez sans comprendre, cela vous convient ?
  • C: Impossible ! Je ne peux pas évoluer sans savoir d’où ça vient ?
  • J: Bon. Que veut dire comprendre pour vous ?
  • C: Savoir quel événement a généré cela.
  • J: Et si c’est une somme d’événements mineurs ?
  • C: Vu la panique, c’est forcément un trauma.
  • J: Comment saurez-vous lorsque vous trouverez la cause que c’est la bonne ?
  • C: !! ?? (Question qu’elle n’a jamais évaluée)
  • J: Si je fais une belle ballade en vélo et que je profite du soleil, de la nature autour et que je me sens bien et que d’un coup j’entends PFFFFFFF et je sens que je force de plus en plus, il y a des chances que je m’arrête et que je descende du vélo. Là, je vois mon pneu arrière crevé. Je peux aller en arrière et voir un bout de verre et me dire: « Ah, c’est probablement cela » puis un peu plus loin, je vois un clou: « Hum, ce n’est pas mal ça aussi »,  puis plus loin encore un trottoir et je crois me rappeler qu’en descendant de ce trottoir, mon vélo a fait un drôle de bruit « peut-être que ça a pincé ma chambre à air ? ». Mais comment saurai-je que c’est le bout de verre, ou le clou, ou la chambre à air trop usée ?
  • C: Hum, je ne sais pas mais moi je le sentirai!
  • J: Vous savez pour le vélo, si je sens que le bout de verre est le bon et que je reviens à mon vélo. Que se passe-t-il alors ?
  • C: Rien, le pneu est toujours crevé. Je vois où vous voulez en venir mais si je trouve « pourquoi » je sens que mon problème sera résolu.
  • J: Imaginons que vous ne trouviez jamais la cause, que cette information ne soit plus disponible alors quoi ?
  • C: !! ?? (Question qu’elle n’a jamais évaluée) Heu ? Hé bien ? J’essaierai de changer alors.
  • J: Combien de temps vous donnez vous pour chercher la cause ?
  • C: Oh la la, je viens de réaliser que cela fait déjà dix ans que je cherche !
  • J: Ce n’est pas ma question.
  • C: Ah oui, euh, 7 ou 8 séances.
  • J: Donc, au bout de 8 séances, vous vous laissez la possibilité d’évoluer sans avoir compris, c’est bien cela ?
  • C: Oui, il faudra bien un jour (Sympa son présupposé non ? Celui là, par contre, je m’en souviens bien)

Ce n’est pas ma façon de travailler d’aller chercher une cause. A l’époque déjà, cette croyance de LA cause ne faisait pas partie de mon répertoire. Mais recadrer les croyances rigides du client est une erreur pour moi car c’est le meilleur moyen pour désagréger le rapport. Autant utiliser.

Alors, après le laïus sur le fait que ce que l’on retrouve en Hypnose n’est pas forcément la réalité (voir article sur la mémoire), nous commençons un travail de régression . Une fois en Hypnose, on replonge dans la sensation de panique puis on part en régression avec cette sensation comme pont d’affect. A la première séance, plusieurs souvenirs reviennent mais elle ne les sent pas comme étant la source.

4ème SEANCE

3 autres séances se déroulent ainsi. A la troisième (donc la quatrième séance), je sais que je vais en choquer certains qui me diront « hâtez-vous avec lenteur » ou ce genre de trucs, mais ce tourisme hypnotique commence un peu à m’ennuyer. Alors la transe me semblant bien conséquente :

  • J: Vous pouvez sentir ce contact sur votre épaule (contact appuyant) qui lié à votre souffle vous emmène plus profondément, de plus en plus à chaque souffle (contact et silence de 1 ou 2 minutes) … Maintenant, on a tous une intuition des choses et c’est à cette partie de vous très intuitive et qui a accès à l’ensemble de vos mémoires, de vos sensations, de vos pensées, de vos idées, de vos expériences, et qui peut en déduire une forme d’intuition, de réponse un peu comme quand on hoche la tête pour dire oui avant même que la réponse ne soit arrivée dans notre esprit.
  • C: (la tête hoche alors que pas réellement demandée juste évoquée)
  • J: … ou alors, on secoue la tête pour dire non et ce n’est pas difficile
  • C: (la tête fait un léger mouvement droite gauche)
  • … (après une vérification des réponses)
  • J: Cette partie intuitive pense-t-elle qu’il  y a un événement source ?
  • C: (Secoue la tête)
  • J: Plusieurs
  • C: (Hoche la tête)
  • J: La conscience s’en souviendra en sortant de cet état ?
  • C: (Secoue la tête)
  • J: Cette partie intuitive peut aider la conscience ?
  • C: (Hoche la tête)
  • J: Sans gêner la conscience
  • C: (Hoche la tête)
  • J: Alors fais le et quand c’est fini hoche la tête
  • C: (Hoche la tête au bout de deux minutes)
  • J: Depuis le moment où j’ai touché l’épaule ainsi (contact) jusqu’à ce moment, est-ce que la conscience se souviendra de cette discussion
  • C: (Secoue la tête)

Reprise de la régression. La cliente suffoque se débat avec ses bras, crie :

  • C: Argh, j’étouffe, je vais mourir, arrêtez, Eric, Christophe, Pillou arrêtez, lâchez-moi.
  • J: Très bien (en levant la main de la cliente), prenez de la hauteur, regardez cela d’en haut, montez, hors de votre corps (secoue la main et la monte encore) plus haut, maintenant au dessus de cette Claire (nom changé) du passé, plus haut, encore (secoue la main et la monte encore) plus haut. Maintenant !
  • C: (la respiration se calme, les traits du visage se relaxent à nouveau)
  • J: Que voyez vous, depuis là-haut ? que se passe-t-il en bas pour Claire ?
  • C: Elle est sous le drap, ces frères tiennent le drap. Grand-mère ne vient pas. Pourquoi ne vient-elle pas ?
  • J: Et qu’arrive-t-il à Claire ?
  • C: Elle étouffe, elle a peur mais ils croient qu’elle pouffe, c’est ça ! mon dieu, c’est ça !
  • J: C’est à dire ? Vous sentez que c’est à cause de cela que vous ne pouvez pas mettre la tête sous l’eau ?
  • C: Oui c’est ça, je le sais
  • J : Que voulez-vous faire ?
  • C: Ressortir de l’état d’hypnose, c’est bon, je sais, je peux ? (je m’attendais pas à cette réponse mais bon)
  • J: Bien sûr, faites le vous même en prenant 5 bonnes inspirations. A la cinquième, vous ouvrirez les yeux fraîche et disponible.
  • C: (Au bout de 2 minutes). Incroyable, comment j’avais pu oublier cela.
  • J: Je ne sais pas. Il y a un robinet dans les toilettes là bas, vous pouvez aller mettre la tête sous l’eau ?
  • C: (Grosse tension dans le corps)
  • J: Que se passe-t-il ?
  • C: J’ai peur !
  • J: Hum ?
  • C: Oui c’est bizarre.
  • J: Voulez-vous faire évoluer cela?
  • C: Oui mais pas besoin de revenir sur ce souvenir !
  • J: (Surpris) Comment ça ?
  • C: Faites comme si on ne le connaissais pas !
  • J: (Surpris) Pourquoi ?
  • C: Car ce n’est que le bout de verre qui a fait PFFFFFFFFF, il faut changer la chambre à air maintenant.
  • J et C: (Gros rire)

Ensuite, au bout de deux autres séances, la personne remet la tête sous l’eau mais la conclusion est plus intéressante encore

CONCLUSION

6 mois plus tard, je reçois un coup de téléphone de Claire:

  • C: Bonjour, il fallait que je vous tienne au courant.
  • J : De ?
  • C: Vous savez le souvenir ou mes frères et moi on est dans la chambre de ma grand mère ?
  • J: Oui et bien ?
  • C: Cela ne peut pas avoir eu lieu et mes frères me disent que c’est n’importe quoi.
  • J: Peut-être qu’ils ne se rappellent plus, non ?
  • C: Non, ça n’a pas pu avoir lieu car ma grand-mère avait un vase Ming !
  • J: (Rupture de pattern, confusion, tout ce que vous voulez mais transe du praticien) Je ne … hein quoi ?
  • C: Ma grand-mère avait un vase Ming, et ça coûte une fortune alors on n’avait pas le droit de monter dans sa chambre à l’étage. Et c’était fermé à clef. On y est jamais allé et pour être honnête, je ne connais même pas où est son lit ni comment est la pièce.
  • J: Mais alors ? La cause ?
  • C: Je ne la connais pas !
  • J: Zut, alors, j’imagine que vous vous lavez au gant de toilette ?!
  • C: (Gros rire) Non, en fait non. Tout va bien

Ce cas est le plus explicite m’étant revenu pour parler du fait que la cause ne sert pas forcément le changement. C’est juste un avis basé sur de nombreux cas et en aucun cas une volonté de prouver cela.

Cela ne veut pas dire qu’elle ne vient pas d’elle-même parfois mais on peut aussi très bien s’en passer. D’autant plus qu’il n’y a aucun moyen, si on en trouve une, de vérifier sa véracité (voir article sur la mémoire). D’autre part, si le problème est né de nombreux petits événements anodins, on peut la chercher … toute une vie … pour rien.

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